La sobriété, un chemin ?


Le 21 novembre 2021, le groupe "Musulmans et chrétiens" s'est retrouvé à Lausanne sur le thème "La sobriété, un chemin?". Une rencontre évoquée ici par Martin Hoegger.

La dernière rencontre annuelle du groupe « Musulmans et chrétiens » avait abordé le vaste thème de « Foi et sauvegarde de la nature ». Comme ce thème est vaste, presqu’inépuisable, nous avons décidé de continuer à le creuser. Mais par quel bout avancer ? Rapidement nous nous sommes mis d’accord qu’il ne faut pas seulement une approche théorique, mais aussi pratique. 

Il faut écouter des témoignages de vie, des façons de vivre une spiritualité écologique, car la surconsommation nous vide spirituellement. Nous avons alors choisi le thème de la sobriété. Peut-elle être un chemin pour nous rapprocher les uns des autres…et de Dieu ? 

Notre rencontre a eu lieu à Lausanne le 21 novembre 2021 à la « Ferme du Désert », où une cinquantaine de participants ont écouté deux conférenciers, suivis de témoignages et d’un temps de partage.

 

La sobriété pour nourrir notre âme

Djalel Meskaldji, mathématicien à l’École polytechnique fédérale de Lausanne et collaborateur à l’Office fédéral des statistiques, se demande comment parler du thème de la sobriété ? Il commence par citer la sourate 102 : « La course aux richesses vous distrait ». Puis il dit que le musulman dit 17 fois par jour le verset « c’est Toi seul que nous adorons » (Sourate 1,5). Il faut définir son objectif : quel est-il ? Aimer Dieu et être aimé de lui, selon cette même Sourate ! 

Mais quel est le lien avec la sobriété ? Il le voit dans le sens du mois du Ramadan qui invite à nous abstenir de manger durant la journée. Mais ce temps comporte une autre composante : la prière durant la nuit. On s’abstient de manger, le jour, pour nourrir son âme, la nuit. Le corps ne va pas sans l’âme.

 « La sobriété, c’est se mettre en mode avion, se déconnecter », dit-il. « Notre vie terrestre est limitéeElle est « basse », alors que la vie dernière est « haute » et à préférer à la vie présente. Il faut changer d’objectif pour amasser dans l’au-delà, et non dans l’ici-bas. Mais comment ? En aimant son prochain : pour l’aimer il faut se connecter à la bonne source, Dieu qui donne la bonne dose de miséricorde pour faire le bien ». C’est pourquoi toutes les sourates du Coran commencent par l’invocation du Miséricordieux.

Sa conclusion : « la sobriété est un cheminement, un moyen pour nous conduire à l’altruisme. La sobriété et l’altruisme nous rendent aimés du Seigneur ».

 

La sobriété apporte liberté et joie

Le deuxième conférencier est Xavier Gravend-Tirolle, spécialiste en dialogue interreligieux et aumônier des étudiants aux Hautes Écoles de Lausanne. 

Pour lui, le contraire de la sobriété est « l’hubris », terme grec signifiant l’orgueil, la démesure, la voracité. En voici quelques exemples : en 2050 la masse de plastique dans la mer équivaudra à celle des poissons ! Aujourd’hui 26 personnes ont autant d’argent que 3,5 milliards personnes !

Pour comprendre le sens de la sobriété, il faut rappeler la vocation de l’être humain qui est d’être en relations. La sobriété est au cœur de nos relations fondamentales : avec soi, avec Dieu, avec le prochain et avec la création.

Le conférencier propose quatre lieux où exercer la sobriété : avec les animaux en nous reconnectant au vivant, avec les êtres humains en vivant avec plus de simplicité, avec soi-même en pratiquant une hygiène de vie et avec Dieu en renonçant à exiger quoi que ce soit de lui. 

La sobriété nous apporte liberté, joie et nous rend sensible à la beauté. Elle est reliée à l’« écologie intérieure » qui est une conversion permanente. « Priez pour ma conversion », appelle l’orateur !  « La conversion c’est me dépouiller de moi-même, apprendre à me laisser aimer. La première condition de la joie chrétienne, c’est se décentrer de soi et mettre Dieu au centreC’est s’ouvrir au pardon de Dieu qui est toujours plus fort que notre culpabilité. C’est parce que nous sommes pardonnés que nous pouvons marcher vers Dieu, et toujours recommencer 77 fois 7 fois », conclut-il.


Deux témoignages de pratique de la sobriété

Le premier est donné de manière anonyme par une personnalité qui avait une bonne position dans la vie sociale de son pays et qui, à la suite d’événements politiques, a dû faire plus d’une année de prison. Ce changement radical lui a fait découvrir la valeur de la sobriété. 

« Après ma sortie de prison, j'ai voulu poursuivre mon habitude de me contenter de peu, ou de vivre avec « juste ce qu’il faut ». Et maintenant, j'essaie de vivre cette vie humble et sobre en Suisse. Par exemple, je n'achète pas tout ce qui n’est pas un besoin essentiel, je suis plus sélectif. Au lieu d'acheter une voiture, je préfère marcher ou prendre mon vélo. J'essaie de manger moins et de dormir peu. J'essaie d’explorer et de découvrir de nouveaux lieux et contemple la beauté de la nature », dit-il. 

Sébastien donne le deuxième témoignage : il vient d’Argentine, pays de la viande par excellence. Mais un jour, se rendant compte que l’industrie de la viande introduit de nombreux déséquilibres, il a choisi d’être végétarien ! Il a reçu plusieurs commentaires négatifs à la suite de ce choix. Mais cela l’a ouvert à la sobriété dans l’usage de l’eau, des vêtements, du transport. Beaucoup de chemins nouveaux se sont ouverts pour lui, surtout la capacité de faire le premier pas dans des conflits. 

 

« Moins de biens et plus de liens ! »

Durant la deuxième partie de la rencontre des petits groupes sont formés où les participants sont invités à dire ce qui les a touchées et quelles expériences de sobriété ils peuvent partager. Voici quelques échos : 

Si notre maison est petite en nous contentant de peu, le coeur est grand ; l’essentiel est de mettre du coeur en toutes choses. Pour un musulman le jeûne du Ramadan est un rappel de la sobriété chaque année. Des chrétiens témoignent aussi de leur découverte d’un jeûne annuel, car prière, aumône et jeûne vont ensemble dans le temps du Carême. 

S’ouvrir à Dieu nous aide à être sobres. La sobriété nourrit l’esprit et cela nous fortifie. Être ensemble pour y réfléchir nous encourage les uns les autres. Rencontrer des gens ainsi engagés dans le dialogue interreligieux est touchant. 

L’acceptation de la mort nous rend aussi plus sobres : nous ne sommes dans cette vie que des étrangers de passage, et un voyageur ne s’encombre pas. On trouve la joie dans la relation et le désencombrement : « Il faut moins de biens, mais plus de liens » !

 

Valeurs communes

Concluons avec deux témoignages qui, tous deux, soulignent les valeurs communes entre nos deux religions. 

Najouah, une musulmane nous a écrit : « Je suis très touchée par la ressemblance entre les deux religions, nous avons tant de valeurs en commun. J’ai appris à ne plus juger les autres et de les aimer et les accepter tels qu’ils sont. Et pour réaliser tout ça, je n’ai qu’à purifier mon cœur ; et cela nécessite beaucoup de travail « non-stop ».

Et Rachel, une chrétienne : « Après cette magnifique rencontre, je voulais vous partager la joie qui se trouve dans mon coeur ! Vraiment nous cheminons chrétiens et musulmans ensemble sur le chemin de l'amour de Dieu. Nous avons des valeurs communes. C'est cela qui est magnifique ».

Martin Hoegger