Un voyage entre musulmans et chrétiens en Suisse - Le grand potentiel du dialogue

Lors d’une rupture du Jeûne du Ramadan vécue ensemble, musulmans et chrétiens

Par Markus Moll et Tersa-Luzia Wehrle.

Dans la société interculturelle et multireligieuse d'aujourd'hui, le dialogue revêt une importance capitale. Indispensable au maintien de la paix sociale et de la compréhension entre les différents groupes, il devient également une source d'enrichissement mutuel. C'est souvent à partir d'une petite graine et de relations dans la vie de tous les jours que naissent d'autres initiatives. Un prêtre suisse et une focolarine qui poursuivent depuis des années un chemin fructueux avec des musulmans et des chrétiens comme protagonistes, le racontent ici.

Chaque jour, nous rencontrons, dans le voisinage et parmi les proches, des personnes aux opinions et aux expressions très différentes. De plus, avec Internet, nous rencontrons toutes sortes d'opinions et de points de vue. Cette situation appelle à écouter l'autre, à aller vers lui et à dialoguer. Mais ce dialogue a besoin de qualité et de profondeur.

De cette multiplicité de points de vue et d'opinions, à travers le monde et dans son propre environnement, fait également partie la pluralité des différentes religions. Il faut donc un dialogue entre leurs représentants.

 

Le point de départ

Pour les personnes engagées dans le dialogue interreligieux, il faut souvent une première expérience inspirante. Dans le cas de Tersa Luzia Wehrle, il s'agit de sa participation à la cérémonie de remise du prix Templeton à Chiara Lubich à Londres en 1977. Immédiatement après la cérémonie, des représentants de diverses religions se sont approchés de la nouvelle lauréate avec une attitude ouverte qui exprimait l'espoir d'un dialogue entre les différentes religions.

Un deuxième élément de la passion de Tersa Luzia pour ce dialogue est le contact direct et quotidien avec des représentants d'autres religions, par exemple avec une jeune musulmane qui a redécouvert sa foi au contact de la spiritualité du mouvement des Focolari.

Un autre point important pour Tersa Luzia a été son travail au sein du département du dialogue interreligieux du Conseil œcuménique des Églises à Genève, qui lui a permis de faire de nombreuses rencontres profondes et émouvantes avec des représentants d'autres religions du monde entier. Lorsque le cardinal Ratzinger a visité la Focolare de Genève en privé, il a été très surpris d'y trouver des amis réformés et musulmans, des personnes qui avaient été renforcées dans leur foi respective avec une joie indescriptible.

Pour Markus Moll, l'étincelle initiale de son engagement dans le dialogue interreligieux remonte à ses années d'études à Paris, où il participait au pèlerinage annuel des étudiants parisiens à Chartres au sein d'un groupe de jeunes de différentes religions. Après son année d'études en France, un stage d'enseignant en Algérie lui a permis de vivre une expérience profonde et enrichissante avec des étudiants musulmans et leurs familles.

Tous deux sont coordinateurs du dialogue interreligieux au sein du mouvement des Focolari en Suisse alémanique.

 

Le chemin commun

Les visites de mosquées, la participation à la rupture du jeûne pendant le ramadan sont autant d'éléments importants pour les contacts et le dialogue. Parfois, nous sommes invités chez des amis, avec d'autres familles musulmanes. Le repas qui suit le jeûne d'une journée est toujours un moment sacré, avec un partage profond de la vie et de la foi.

Beaucoup de nos amis musulmans vivent en Suisse depuis de nombreuses années, certains y sont même nés. D'autres ne vivent ici que depuis peu de temps, souvent parce qu'ils ont dû fuir leur pays d'origine. Dans ces situations, nous essayons de leur apporter une aide concrète : comment obtenir un permis de séjour, comment chercher un appartement, comment améliorer leur connaissance de la langue de notre pays, comment faciliter la visite de parents en Suisse... Tout cela nous permet de mieux nous connaître.

Nous sommes toujours prêts à saisir de nouvelles occasions de rencontrer nos amis musulmans. Depuis quelque temps, nous organisons chaque année au Centre du Mouvement des Focolari à Baar des rencontres intitulées "Musulmans et chrétiens en dialogue", avec à chaque fois un thème différent qui touche profondément notre vie et notre foi, comme par exemple : "Miséricorde et amour" - "Ensemble sur le chemin" - "Nos racines, nos aspirations" - "Saisir la Parole de Dieu et la vivre" - "La joie, un vase fragile".

Les participants viennent d'horizons très divers : avec voile et sans voile, sunnites et chiites, pratiquants et non pratiquants. Au départ, nous avons invité des intervenants extérieurs pour ces rencontres, principalement des musulmans : Adnane Mokari, Shahrzad Houshmand de Rome, Farouk et Schéhérazad Mesli d'Algérie. Les intervenants chrétiens étaient Paul Lemarié, Michel Vandeleene, Gwenaelle Delalande, Johannes Vetter. Depuis peu, nous animons ces rencontres à Baar avec une équipe de huit personnes, musulmanes et chrétiennes.

 

Un éventail d'initiatives

Nous offrons à nos amis musulmans une variété d'événements, dont certains sont simplement organisés par nous, chrétiens.

 

Week-ends Oasis

Nous offrons aux femmes un week-end de détente et de ressourcement. Les femmes musulmanes étaient heureuses de participer ; l'une d'entre elles faisait partie du comité de préparation. Le commentaire d'une autre : "Le week-end Oasis a été un bon moyen de "débrancher". Nous avons très vite échangé et posé des questions les unes aux autres. J'ai été étonnée de l'ouverture et de l'amour de toutes ces femmes à notre égard. Nous nous sommes rendu compte que nous ne nous connaissions pas et qu'une certaine distance était maintenue. Mais nous appartenons à la même société. Et plus encore : nous croyons toutes en un seul Dieu qui nous a créés comme des frères et des sœurs. J'ai senti fortement que Dieu était parmi nous". Mais les femmes chrétiennes ont également fait cette expérience : pendant la prière du soir, elles ont été émues par une prière du Coran.

 

Les Mariapolis (réunions d'été)

Chaque année, plusieurs familles musulmanes participent également aux mariapolis d'été des Focolari. L'année dernière, nous avons proposé un atelier de dialogue avec un couple musulman : des heures inoubliables où l'on pouvait tout demander et tout dire, un vrai partage d'âme à âme, chacun étant si différent et pourtant le même.

 

Rencontre au monastère d'Einsiedeln

Des familles musulmanes accompagnées de leurs enfants ont souhaité faire connaissance avec l'abbaye bénédictine d'Einsiedeln, qui est aussi un sanctuaire marial. Ce n'est pas un hasard si Marie occupe une place importante dans la vie de la foi musulmane. Un moine nous a fait découvrir la réalité du monastère. L'Ora et labora (« Prie et travaille », la devise des bénédictins), et la vie structurée des moines ont rappelé aux musulmans leur vie avec les différents temps de prière. Le point culminant a été le dialogue animé et profond avec l'abbé Urban Federer. L'un de nos amis a déclaré : "Grâce aux paroles de l'abbé, j'ai compris que si nous n'écoutons pas Dieu en nous, la vie en nous meurt de soif. Dans le silence, nous pouvons entendre la voix de Dieu". Un autre musulman a dit à l'abbé : "Vous ne nous avez parlé que de foi vivante. Cela me motive profondément et me donne une grande joie".

 

Assemblée du Conseil œcuménique des Églises à Karlsruhe

Lors de la 11e assemblée générale du Conseil œcuménique des Églises, qui s'est tenue à Karlsruhe en septembre 2022, le mouvement des Focolari a organisé un atelier intitulé "Le dialogue comme mode de vie, méthodologie et pratique". Le Dr Hasan Hatipoglu, président d'honneur de toutes les associations musulmanes du canton de Zurich et en contact étroit avec nous, a participé à cette table ronde. Il a écrit plus tard : "Parmi les participants à l'atelier, il y avait aussi des sceptiques. L'un d'entre eux a déclaré au début qu'il ne voyait pas l'intérêt et l'utilité d'un dialogue avec les musulmans, car il n'y a pas de véritable dialogue possible avec eux. Mais les explications et les témoignages des quatre intervenants l’ont convaincu. Finalement, cette personne a changé d'avis et a déclaré qu'elle essaierait désormais de dialoguer avec les musulmans, parce que - a-t-il dit - les avantages sont plus importants que les inconvénients.

 

Retraite musulmane

Un groupe d'hommes musulmans de la région de Zurich a organisé une retraite. À leur invitation, quatre chrétiens ont partagé leur vie avec la spiritualité des Focolari. L'un d'eux a déclaré : "Nous sommes très reconnaissants de votre ouverture et nous aimerions approfondir notre contact avec la vie des Focolari. »

 

Célébration du 40e anniversaire du centre des Focolari à Montet (Suisse)

En octobre 2022 a été célébré le 40e anniversaire de la fondation de la petite cité des Focolari à Montet, où, depuis de nombreuses années, les différences d'origine, de religion, de culture et d'âge sont valorisées. Plus de quarante musulmans ont participé à la célébration. Leurs réactions : "À Montet, il y a un grand espoir que les différentes religions et cultures puissent se rencontrer et s'enrichir mutuellement grâce à la diversité". "En raison de notre statut de réfugiés, ma femme était souvent triste et pleurait beaucoup. Elle rencontrait également des difficultés avec la langue allemande et était découragée. Après la visite à Montet, elle est heureuse et ne pleure plus".

 

Les fondements du chemin commun

L'un des principes de notre action est de ne pas faire quelque chose pour les musulmans, mais avec eux. Ils se sentent alors coresponsables et contribuent aux événements individuels.

Un autre principe qui nous guide est la conviction que l'autre, en tant qu'être humain, est une créature de Dieu, aimée par lui comme moi. Dès le départ, cela me fait voir l'autre sous un jour différent : il ou elle devient ainsi un frère et une sœur pour moi. Il ne s'agit pas d'une belle théorie, mais de la vérité de notre vie.

Chiara Lubich nous a légué cette devise : « soyez une famille ». Cela façonne également nos relations avec nos amis musulmans. Dès 1946, elle s'exprimait ainsi : "Dans nos cœurs, une chose est claire : l'unité est ce que Dieu attend de nous. Nous vivons avec lui au milieu de nous, pour être un avec tous. Cette vocation merveilleuse nous relie au ciel et nous plonge dans une fraternité universelle".

Les paroles de Margaret Karram, l'actuelle présidente des Focolari,après son récent voyage en Asie, nous encouragent à poursuivre sur cette voie : « Je sens fortement que Dieu demande au Mouvement, en Asie en particulier, mais aussi dans le monde entier, de faire un pas important. Le dialogue doit devenir notre mode de vie, notre manière d'agir à tout moment. Le temps est venu de sortir, de travailler avec d'autres organisations, avec des personnes de différentes religions. Alors courons, il n'y a pas de temps à perdre ! »